Les mots ainsi incarnés par Fabien Franco

L’expression réserve force et authenticité, créativité et engagement. Bien qu’au cours de ces presque trente dernières années les discours aient inévitablement évolué, s’approfondissant au gré des rencontres, des réflexions et des expériences multiples et variées, il se dessine en toile de fond de l’ensemble des activités théâtrales menées par la compagnie Brozzoni, un ciel lumineux, tendu comme un tissu précieux sur son métier. Il s’agit d’« un théâtre vital qui nourrit le cœur et l’esprit, un théâtre qui relie, qui donne du sens à la cacophonie idéologique qui sourd dans ce XXIe siècle tonitruant. » Cette communauté d’esprit qui a conduit la compagnie vers ces auteurs que sont Homère, Sophocle, Cervantès, Perrault, Brecht, Tennessee Williams, Peter Turrini, René-Nicolas Ehni, Laurent Gaudé, Mahmoud Darwich, Nelson Mandela, la cohérence de la démarche, ce même amour pour les textes qui font sens, n’ont jamais tari, au contraire. C’est un théâtre « dans lequel les mots incarnés agissent comme chaque être mu par le mouvement de son âme. » Au fil du temps, ce double regard composé de deux personnalités aux sensibilités complémentaires, s’est enrichi patiemment, avec persévérance, révélant avec une conviction intacte sa nature morale dans laquelle l’art du jeu tient son rôle sur une scène politique et sociale. « L’acteur guide mon projet artistique. Je m’appuie sur sa qualité, son trouble, et son énergie. Au « je » du comédien doit se mêler le souffle de l’auteur. Comme si toute interprétation recélait en son cœur une pierre précieuse qu’il fallait polir pour faire jaillir l’intime et l’authentique. Le rôle du metteur en scène est de sortir du confort dans lequel nous avons tous le désir de demeurer pour transmettre ce quelque chose qui nous échappe. N’est-ce pas là, l’acte originel du théâtre ? »

Dominique Vallon et Claude Brozzoni se sont rencontrés au soir du 31 décembre 81. L’une a grandi dans ce bouillon de cultures servi par un père érudit dévoué au journalisme et aux arts, pour devenir comédienne à part entière ; le second a passé par « l’école » extraordinaire du théâtre de Jacques Quoëx, touchant au décor, à la comédie, à la régie, avant de céder à la mise en scène. Au matin du 24 décembre 1987 cette union féconde a donné naissance à la compagnie. Non, pas de miracle ici bas, juste l’envie d’incarner, de donner du sens aux mots qui donnent vie : « Au cœur de la mise en scène, le Verbe », disent-ils. Dans leur conquête créative, ils ont gravi des hauteurs qu’ils n’auraient pu soupçonner. Dès les premières mises en scène, le ton a été donné. Les textes dont les spectateurs ont découvert alors les sonorités vibrantes se sont habillées de cet esprit créatif généreux, musical par lequel la compagnie se distingue, marque sa différence, affirme son propos et son esthétique. « C’est un théâtre qui parle à l’Autre, qui m’arrache à moi parce qu’éloigné de mon quotidien, qui me rapproche de moi parce qu’il dit quelque chose de nous. » Il y a bien en effet une marque de fabrique, un style « Brozzoni », reconnaissable entre tous. Comment le qualifier ? « Les arts s’y rencontrent : la peinture, le chant, le jeu et la musique. L’objectif est d’éclairer le Verbe. La musique, la peinture, la lumière, le décor, tout est conçu et pensé pour concentrer les regards sur ce qui va être dit. » Au-delà de la technique, des procédés scéniques et du jeu aussi exigeants soient-ils, il est bien une manière de dire et de réunir, s’adressant à tous, quel que soit notre origine sociale et culturelle, propre à cette compagnie qui s’investit aussi bien dans la transmission que dans la pédagogie. On parle ici d’un théâtre rassembleur, percutant, pertinent, dont chaque lettre constitue la colonne vertébrale d’un Verbe universel. On perçoit comme une évidence l’âme qui traverse les mises en scène, tant Dominique Vallon et Claude Brozzoni ont pris garde, tout au long de ces années, de ne pas s’écarter du chemin qu’ils avaient eux-mêmes tracé. « Mettre en scène, c’est partir à la découverte de soi-même et des autres. C’est un théâtre pour tous, à commencer par les plus silencieux qui ploient sous le labeur quotidien. »

Le théâtre est foncièrement hétérogène, en perpétuelle évolution, jamais achevé, d’une émulation constante, il est une proposition, un miroir dans lequel nous n’en finissons pas de capter des morceaux d’humanités qui se dérobent. Ce que parvient à réaliser la compagnie Brozzoni, tout en sublimant par le jeu et les artifices l’insaisissable réalité, c’est précisément de restituer sur scène, dans un espace et un temps défini, des pans de la magie, de la grandeur et des consciences de nos incompréhensibles vies. Il y a indubitablement cet amour de l’Autre, des échanges, du dialogue avec le public. Un rapport intime, frontal, comme une évidence à laquelle on ne peut déroger. Les mises en scène et le choix des auteurs, d’hier et d’aujourd’hui, forment de forts contrastes qui ne manquent pas de troubler et d’émouvoir. Lorsqu’aux tirades des comédiens s’ajoutent le chant et les instruments des musiciens, le théâtre de Brozzoni dévoile des contrastes intenses, captivants. La tension alors palpable monte d’un cran et porte le texte jusqu’à ces limites insoupçonnées dont nous parlions.

Nous pourrions énumérer la longue liste des pièces montées et mises en scène, des succès remportés, des éloges publiées, des applaudissements récoltés comme des offrandes inestimables. D’abord, ces mots tirés des textes fondateurs qui résonneront encore longtemps dans nos têtes, puis, ceux inspirés par le souffle des contemporains qui s’inscrivent dans le prolongement de leurs prédécesseurs. « Il est chez ces auteurs un souffle épique intemporel. »
Prolifique, Claude Brozzoni se fait fort de leur rendre chair, comme d’autres ont donné au marbre l’éclat de la peau délicate. Dominique Vallon, dont l’humble et acharné mouvement du cœur sait aussi compter sur son pragmatisme, est habitée de la même façon. À travers ces gens de théâtre passionnés qui nous les offrent sans compter, les mots demeurent ainsi incarnés. Ils virevoltent tels des oiseaux en cage avant que la mise en scène ne leur ouvre la porte et qu’ils fusent alors comme des étoiles filantes dans nos esprits devenus aussi vastes que la mer et les cieux.

Citations d’Andreï Tarkovski

« Le temps d’une vie est une occasion donnée à l’homme pour prendre conscience de lui-même et de son aspiration à la vérité en tant qu’être moral. »

« Le génie ne s’exprime pas par la perfection d’une œuvre, mais par l’absolue fidélité à lui-même, à sa passion. »


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